Projet Parcours - II
7 mars 2025 - Je suis très heureuse de pouvoir vous partager ce deuxième portrait du projet Parcours. À travers ce projet, je souhaite partager des récits d’immigrants de la ville de Québec. J’ai rencontré Linda chez elle à deux reprises au début de l’été 2024. Originaires de la Côte d’Ivoire, son conjoint et elle ont eu la générosité de me recevoir et de me partager leur histoire.
Merci à vous deux pour votre partage et votre patience. 
« Bɔsɔ » ou « Le chemin de Linda et Daouda »
L’idée du départ
Linda - Honnêtement, de venir au Canada, ça n’a jamais fait partie de mes projets. Je suis arrivée ici parce que mon conjoint vit ici. C'est grâce à lui que j'ai découvert ce beau pays. Mon mari, Daouda, et moi, nous nous sommes rencontrés à Abidjan en Côte d’Ivoire. Puis il est venu ici étudier et deux ans plus tard, on s'est marié et je l'ai rejoint.

Les langues en Côte d’Ivoire
En Côte d’Ivoire, le français est la langue d’usage commune à tout le pays. Mais il y a aussi plus de 60 langues spécifiques à des régions et communautés. Tout le monde ne comprend pas la langue maternelle de tout le monde. Vous pouvez arriver dans une région où on parle par exemple l’attié, moi je suis Attié. Et puis vous allez aller dans une autre région où on parle le djimini, comme mon mari. Et puis vous pouvez arriver ailleurs, où on parle le bété, ou le baoulé, l'agni… Et chaque ethnie a sa spécialité culinaire. Il y a une diversité énorme. Il y a une richesse culturelle extraordinaire. Vous pouvez tout manger, tout ce que vous voulez. L’attié (ou Akié) c'est ma langue maternelle. Donc à la maison nos parents nous parlaient l’attié pour nous permettre de comprendre en grandissant et ils nous parlaient en même temps en français pour qu'à l'école on ne soit pas dépaysés. À l'école, on apprend le français et l’anglais, et on doit choisir aussi entre l’espagnol et l’allemand. Par exemple, moi j'ai appris l’allemand et mon conjoint, l’espagnol.
L’arrivée
Je suis arrivée au printemps 2023, puis j'ai cherché du travail plusieurs mois. Je n'avais aucune expérience ici au Canada, donc c'était un peu difficile. J'ai passé plus de 30 entretiens. J'ai finalement été recrutée à deux endroits dans la même semaine, j'ai choisi l’emploi que j’occupe en ce moment et comme ça que c’est parti.
J'adore le Québec. Je trouve que tout le monde est très chaleureux. Les gens sont aimables, gentils, professionnels. Dans l'autobus, par exemple, mon porte-monnaie est tombé. Je vois que tout le monde veut m'aider et me le donner. Ce sont des petits gestes comme ça qui m'ont marquée parce que je sens que les gens se soucient des autres.
Un de mes plus grands défis a été le froid, c'est la première chose qui a fait que j'ai failli retourner dans mon pays. Quand je suis arrivée, c'était le printemps, mais le printemps québécois pour moi c'était plus froid qu'un hiver en Côte d'Ivoire. Chez moi la température est de 30 à 35 degrés. Il y a une saison qu'on appelle harmattan, c'est la saison sèche. Il fait très froid à cette période-là. C'est environ 16 degrés. Donc un Ivoirien qui arrive ici au printemps, il va trouver que c’est le harmattan de la Côte d’Ivoire.
Même en été, malgré le soleil, j'avais froid ici. Ah oui, j'avais froid, j'étais tout le temps en chaussettes au salon, je fermais tout, j'augmentais le chauffage parce que j'avais froid. Et imaginez l'hiver. C'était pas du tout facile, je n’aimais pas sortir. C'était très difficile parce que j'étais enceinte et je n’avais pas eu le temps d'acheter des vêtements de maternité alors je portais des habits que j'avais déjà. Chaque fois que je devais sortir, il fallait que je me double, fallait que je porte un collant, un autre collant, que je mette un jean, ici que je porte un t-shirt, que je mette un deuxième t-shirt, un troisième, un manteau, un bonnet… Je m'habitue maintenant parce que là je sors même! Vous avez vu que j'ai ouvert les fenêtres?
Devenir maman loin de sa famille
En Afrique quand tu as un bébé, tu es vraiment comme une princesse, tu ne touches à rien. Tu te lèves le matin, on te prépare à manger, tu manges, tu dors… Ton bébé, on le lave pour toi, on l'habille pour toi, on fait tout pour toi jusqu'à peut-être 3 à 6 mois le temps que tu te remettes. Vous avez votre mère autour de vous, vous avez votre grand-mère autour de vous, vos sœurs, votre conjoint. Vous avez vos amis qui vont venir vous rendre visite. C'est vraiment formidable, tu te sens vraiment entourée et tu passes cette étape-là dans la joie.
J'ai une amie ici qui s’appelle Mireille, elle est vraiment très adorable et c'est elle qui venait faire la cuisine ici pour moi. Elle venait prendre les habits de bébé, elle les lavait chez elle, les repassait, les rapportait. Elle venait le samedi faire la cuisine, elle préparait plusieurs repas. Elle restait avec nous et s’assurait que tout aille bien. Elle m'a vraiment aidée et je n'ai pas tellement senti l'absence de mes parents.
Je communique tous les jours avec mes parents. Moi, j'étais très attachée à mon père depuis toute petite. C'était l'un des plus gros défis quand je suis arrivée. C'était même mon plus gros défi. Avant mon départ, je vivais à Abidjan et mon père vivait à Adzopé qui est notre ville natale. Quand la date de mon départ approchait, je suis allée lui rendre visite. J'ai voulu passer du temps avec lui pour lui dire au revoir sans qu'il sache que c'est un au revoir. Je suis restée avec lui pendant quelques jours, on a passé de bons moments. Et puis bon, après on s'est laissé, j'ai pris mes affaires, il me regardait par les claustras, il me regardait partir, j'avais le cœur gros.
Quand je suis arrivée ici on faisait chaque jour un appel vidéo, ça pouvait partir de 10h00 d'ici jusqu'à 15h00. On était ensemble, ensemble malgré la distance.
En gros, c’est ma petite histoire. Le mot «Bɔsɔ» (qui se prononce «Bosso»), qui signifie «chemin» dans ma langue maternelle, est celui qui décrit le mieux mon parcours.

Projet Parcours
​​​​​​​12 avril 2024 - Voici un premier portrait documentaire sur les parcours des personnes immigrantes de Québec. C’est un projet qui me trotte dans la tête et le cœur depuis un bon moment. Je souhaite partager des histoires de vie, des récits migratoires, en photos et en mots. J’ai eu la chance d'accompagner plusieurs immigrant.es dans leur intégration au Québec et dans leur apprentissage du français. Ce sont des personnes que j’admire pour leur courage, leur force tranquille et leur résilience.  Leurs parcours sont tous uniques, mais souvent parsemés d'embûches. Et leurs histoires méritent d’être racontées. Je réalise ce projet de façon indépendante, entre 2 cours, 2 brassées de lavage et 2 p’tits virus d’enfants. Mais je réussis aujourd’hui à vous présenter le premier d’une série, et j’en suis très heureuse.
J’ai rencontré Iulia il y a quelques années, alors qu’elle était étudiante en francisation. Son grand sourire et sa détermination m’ont tout de suite frappée. Iulia et son mari Adrian ont immigré au Canada en 2016. Un peu plus de 7 ans plus tard, ils ont eu la grande générosité de me partager leur histoire d'immigration de la Roumanie au Québec.
« Le voyage vers une autre vie » ou « Călătoria spre o altă viaţă »
Iulia et Adrian viennent de la Roumanie où ils se sont rencontrés, en 2003.
Iulia : Moi je venais de la montagne, Adrian, de la mer Noire. J’ai déménagé avec lui près de la mer, on a habité ensemble pendant 9 ans à Constanta, la 2e plus grande ville de la Roumanie, avant d’immigrer au Canada.
Même avant ça, on pensait tout le temps à la possibilité de partir vivre ailleurs en Europe ou dans un autre pays pour changer notre vie. Au départ, j’ai jamais pensé venir au Canada parce que c’est pas aussi simple que de faire tes bagages, prendre l’avion et tu t’en viens. Non, c’est autre chose, c’est un long processus, mais on s’est dit, on peut essayer pour voir si ça fonctionne.
Lors de l’ouverture de l’Union européenne, plusieurs Roumains que je connaissais voulaient sortir de la Roumanie, vivre ailleurs. C’était l’ouverture des frontières en Europe mais sans aucune certitude d’avoir la résidence ou citoyenneté.
Adrian : Notre grande motivation à quitter notre pays, c’était la corruption et les valeurs de « paraître », de richesse, qui s'éloignent de l'essence de la vie. Nous, on est plus traditionnels, plus simples.
Iulia : On a fait plein de recherches au début. On a fait le calcul avec tous les points dont on avait besoin. Nous, on a émigré comme travailleurs qualifiés, donc on avait des points pour notre scolarité, notre expérience, etc. Il y a des points aussi pour les enfants mais nous on n’avait pas d’enfants à ce moment-là. On a quand même monté un dossier, qu’on a envoyé. Avec tous les documents réunis, le dossier pesait 1 kilo. Le Canada t’accueille mais c’est à toi de payer, c’est à toi de démontrer que tu peux vivre ici.
On a attendu quand même 2 ans et demi. C’était le premier dossier. Ça a coûté 3000$ canadiens. En Roumanie on gagnait pas un salaire comme ici. On a essayé d’économiser.
Par la suite, je suis tombée enceinte et le fait d’avoir un enfant nous a donné encore 4 points de plus, donc plus de chances. J’ai des amis qui ont attendu 5 ans avant d’avoir une réponse de l’immigration. Tu savais jamais si tu allais réussir ou non, ils ne te donnaient pas une réponse tout de suite, le processus était long. Et au bout de l’attente, tu pouvais recevoir un refus. Nous avons envoyé notre dossier en juillet 2013 et on a eu notre réponse du Québec 2 ans plus tard. Et celle du Canada 6 mois après parce que le Canada demandait nos antécédents et un examen médical. 
On est parti avec un enfant de 17 mois et 5 bagages. Toute notre vie. On a vendu les choses qu’on avait là-bas. Tout le processus a coûté 10 000$. 
On a choisi le Québec, parce que le Québec était l’endroit où on pouvait venir avec ce qu’on avait comme scolarité et expériences. Je pensais jamais étudier le français, je me suis dit, ça parle anglais aussi au Canada. C’est ça que je pensais.
On est arrivé ici, à Québec, chez des connaissances de la Roumanie qui étaient arrivés 6 mois avant nous. Ils nous ont accueillis et nous ont aidés à trouver un loyer. On a habité à Saint-Roch la première fois, dans un appartement pendant 3 ans. On a trouvé un appartement tout de suite et je me rappelle que ouf… Tu sais, la Roumanie est quand même un pays bien développé, tout le monde peut-être ne le sait pas, mais nous on a toujours eu des beaux appartements, des beaux vêtements, on aime avoir des belles choses… Mais ici, quand je suis rentrée la première fois dans l’appartement c’était… pfff, ça sentait la fumée de cigarettes. Mais on s’est dit « c’est ça qu’on peut payer pour le moment, on va tout peinturer. »
C’était difficile aussi quand je me suis rendue compte qu’on ne parle pas anglais ici, je ne comprenais rien, c’était un choc. Quand tu viens avec un bagage et que tu parles déjà trois langues mais que tu ne parles pas la langue que les gens parlent ici... c’est difficile. Je me sentais vraiment, vraiment mal.
Et bon j’étais quand même chanceuse parce que j’ai eu une place à la francisation. Parce que rester à la maison, c’était pas ce que je voulais.
En Roumanie, j’avais eu quelques cours de français mais ça veut pas dire que je parlais vraiment et même si tu parles français... t’arrives ici et tu parles pas français, tu comprends rien, à cause de l’accent. On était pas capable de se comprendre avec le gérant d’immeuble parce qu’il parlait Québécois avec un accent très fort. C’est d’autres Roumains que nous avons rencontrés, qui sont maintenant des amis, qui nous ont aidés à traduire.
C’est sûr que c’est difficile au début. On avait de l’argent, parce que pour venir ici tu dois déclarer au moins 5000$ pour pouvoir payer le loyer, faire l’épicerie, pour les trois premiers mois. Mais c’était pas suffisant. Une chance, Adrian a trouvé un premier emploi. On se rappelle qu’il était payé 11$/h. C’était pas facile, c’était l’égo qui a descendu un peu. Mais nous on s’est toujours dit que si on est ensemble là, ça va. J’ai pas eu peur, j’ai jamais eu peur de venir ici. Je me suis dit, si on ne réussit pas, on va aller plus loin.
Quelques mois après son arrivée, Iulia a entrepris sa francisation du ministère au Cégep de Ste-Foy. Elle faisait partie d’un groupe composé d’autres personnes immigrantes dont plusieurs hispanophones. Elle a suivi ces cours pendant 6 mois. 
La francisation c’était une belle période de ma vie. J’étais heureuse de connaître des gens d’autres nations, dont plusieurs parlaient espagnol. Je parlais espagnol déjà. C’était une chance, tu apprends quelque chose et tu sais jamais quand tu vas l’utiliser. Tsé, à un moment donné la vie tourne comme ça. J’étais pas à l’aise en français et c’est là que l’espagnol est venu aider.
J’ai ensuite étudié au Collège O’Sullivan. Le collège c’était un autre monde, j’aimais ça vraiment, mes profs, mes collègues, j’ai appris beaucoup de choses. Je venais déjà avec un bagage, des connaissances, c’est sûr que les choses s’emboîtent différemment. J’avais une autre vision, j’allais plus loin dans l’apprentissage, mais ça été 1 an et demi intense.
Adrian n’a pas eu à faire de francisation, il a commencé à travailler. En Roumanie il était sous-ingénieur en automobile. Il ne fait pas la même chose ici. Il est le type de personne que même s’il n’a jamais fait ça, il se dit « si je gagne de l’argent, si je travaille, je suis honnête, ça me dérange pas de faire ça pour ma famille. »
Iulia et Adrian ont maintenant tous deux un emploi à Québec. Leur fils aîné, Fabian, a reçu un diagnostic d’autisme dans les années suivant leur arrivée au Québec. Ils l’ignoraient lors de leur départ de la Roumanie, alors que Fabian n’était qu’un bébé.
Adrian : Maintenant on sait pourquoi la vie nous a amenés au Canada. C'est pour Fabian. Être autiste en Roumanie, c'est impossible. Du moins, plus difficile.
Ils ont maintenant un 2e enfant. Ils ont quitté leur appartement et ont acheté une maison après les études de Iulia. 
On a trouvé plus qu’une maison. More than a house, it feels like home.
Le mot «călătorie» veut dire parcours ou voyage en roumain. «Le voyage vers une autre vie» ou «Călătoria spre o altă viaţă», pourrait vraiment représenter notre parcours jusqu'à aujourd'hui.
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